Prix immobiliers : de quoi parle-t-on ?

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A Paris, on dit que le prix moyen des logements a passé cet été la barre symbolique des 10 000 euros par mètre carré. La nouvelle a fait grand bruit. Pour l’immense majorité d’entre eux, les commentaires et les analyses accumulés ont porté sur les causes et les effets de la cherté de l’immobilier parisien. Aucun à notre connaissance ne s’est vraiment arrêté sur le prix affiché, sinon au détour d’une phrase relevant son caractère déjà obsolète.

La remarque est particulièrement pertinente au sujet du marché galopant de la capitale. Mais il se trouve qu’elle a une portée générale : les statistiques de prix immobiliers sont tournées vers le passé. Elles ne font surface que plusieurs semaines, voire plusieurs mois après l’enregistrement des transactions. Ce sont des constructions. De quoi sont-elles faites ? De quoi parlent-elles ? La réponse à partir du cas du marché de l’ancien et de ses indicateurs spécifiques, relativement à ceux du neuf.

Quand parler de prix revient à parler au passé

Un logement n’a pas de valeur intrinsèque. Au contraire, sa valeur est étroitement liée au contexte conjoncturel de sa commercialisation. Elle est le point de rencontre de l’offre et de la demande à un instant T. Cependant, elle emprunte un long chemin avant d’être délivrée sous forme de statistiques. Le cas des actes notariaux, sources authentifiées par la puissance publique, en donne l’exemple. D’abord, l’enregistrement des informations qu’ils contiennent n’est pas immédiat. S’il intervient relativement rapidement en cas de promesse de vente, il est reporté à la signature de l’acte notarié en cas de compromis(1), soit plusieurs mois après accord entre les parties. Ensuite, l’information est intégrée à des bases de données dont le temps d’exploitation repousse d’autant la diffusion de statistiques, a fortiori dans le cas, fréquent, de rondes trimestrielles. Au final, un décalage temporel pèse sur l’information immobilière ; parler de prix immobiliers, c’est parler au passé. 

Il faut concéder que le décalage tend à se réduire grâce à l’évolution des dispositifs. Dans le cadre de la mission de service public qui lui a été confiée par la loi en 2011, le Notariat tient à présent une base relative aux promesses de ventes (avants-contrats) et en tire des statistiques plus rapidement que par le passé, soit deux mois après la fin du trimestre auquel elles renvoient. Mais celles-là reposent sur un champ d’observation réduit du fait que les promesses de vente ne couvrent pas l’ensemble des transactions. Elles sont donc provisoires. 

Les statistiques consolidées et définitives du Notariat sont tirées des contrats de vente, objets de bases immobilières tenues depuis les années 1990. Elles suivent les statistiques extraites des promesses de ventes dans des délais également plus courts (cinq mois après la fin du trimestre concerné) que par le passé (six mois). La télétransmission contribue pour une large part à cette évolution. Mais elle n’opère pas par magie (elle s’avère même difficile à mettre en œuvre) et ne comble pas le décalage qui sépare le moment de la transaction du moment de la diffusion de statistiques. 

Quant aux données tirées des fichiers ouverts par la DGFIP au printemps 2019(2), elles approchent l’exhaustivité contrairement aux bases notariales et ouvrent donc de belles perspectives en matière de connaissance et d’expertise. Cependant, non seulement elles décrivent moins bien les logements vendus, mais elles n’offrent pas d’alternative en matière de fraîcheur puisqu’elles présentent même six mois de décalage avec le marché. Il faut plutôt se tourner du côté d’autres modèles de production de données, à l’instar de celui de MeilleursAgents qui actualise tous les mois ses estimations de prix à partir de quantités de données de marché et de contexte et des relations établies entre elles grâce aux outils mathématiques, statistiques et informatiques de l’économétrie, la data science et le machine learning. D’autres enseignes affichent des statistiques mensuelles, tels que LaCoteImmo (groupe SeLoger), Efficity (Foncia) et Bien’estimer (SAFTI, réseau de conseillers indépendants en immobilier). 

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Parler de prix conclus

Le décalage temporel présenté par les statistiques de prix tient à ce que, dans le champ de l’analyse immobilière, le critère du prix conclu prévaut sur le critère du prix offert. La préférence pour le prix scellé dans les contrats de vente a valeur d’évidence mais c’est un prisme. Elle est justifiée par les professionnels par un autre décalage : celui qui, du fait du jeu de la négociation, s’intercale entre le premier prix affiché par le vendeur et le prix conclu avec l’acquéreur. Ce décalage marque une décote. Il est plus ou moins significatif selon les cycles et selon les territoires. A Paris aujourd’hui, il est plutôt ténu en raison de la forte pression qui pèse sur le marché. Pour autant, les prix conclus font toujours foi, contrairement aux prix d’offre sur lesquels il est de tradition de ne pas communiquer. C’est une particularité française. A l’étranger, les prix d’offre, voire les prix estimés relevés par enquête, sont davantage utilisés, y compris par les appareils de statistique publique. 

La norme du prix conclu limite l’impact des nouvelles sources numériques sur la production des statistiques de prix. C’est le cas des données d’annonces en ligne, du fait qu’elles présentent justement des prix d’offre. A la rigueur, celles-là sont utilisées pour construire des indicateurs de tensions visant précisément à mesurer la différence entre prix offerts et prix conclus, comme Orpi le propose avec Explorimmo et Le Figaro. Elles peuvent aussi constituer le socle d’estimations de prix conclus, tels que MeilleursAgents peut les utiliser en complément de données de contrat. Mais elles font rarement l’objet de statistiques propres, comme chez LPI-Seloger qui les utilise à titre complémentaire de ses statistiques relatives aux logements vendus. De quoi passer généralement à côté des signaux que les prix offerts donnent sur le marché. Ainsi que de se priver de leur disponibilité au fil de l’eau, un atout pour répondre à l’enjeu de produire des données plus vite, incontournable dans les marchés tendus. 

Dans les statistiques, il faut ajouter que les prix immobiliers s’expriment en général en net vendeur, c’est-à-dire hors frais d’enregistrement et de transaction. C’est aussi une norme. Celle-là sous-estime l’effort effectué par les acquéreurs pour accéder à la propriété d’un bien. Mais aussi, elle renforce le flou qui entoure les prix immobiliers en créant un gap entre les statistiques publiées sur la toile et dans la presse et les prix affichés sur les annonces immobilières en ligne qui, pour leur part, comprennent les frais d’agence du fait qu’ils sont à la charge des acquéreurs.  Le flou tient également à la multiplicité des valeurs exprimées, entre prix moyens, médians et standardisés (info 2)(3). A qui n’y prête pas attention, ces valeurs se confondent dans la masse des statistiques à disposition de la plupart. Elles ne correspondent pourtant pas à la même mesure des prix. 

Parler au singulier d’un marché pluriel

Les traitements des données relatives aux achats-ventes reposent aussi systématiquement sur un travail de catégorisation. Ils visent à réduire la très forte hétérogénéité des logements. Il est effectivement courant de considérer qu’il n’y a pas deux logements identiques. Ranger les logements dans des catégories permet de dépasser cet impondérable et, au final, d’exprimer leurs valeurs comparées dans une même mesure. A ce compte, on notera que les statistiques de prix reposent toutes sur un socle commun de catégories qui distinguent le neuf de l’ancien, les appartements des maisons et peuvent se décliner à partir d’une segmentation par nombre de pièces, voire par époque de construction. Pour autant, elles ne sont jamais vraiment comparables. D’abord, elles ne couvrent pas le même nombre de logements et ne reposent pas sur les mêmes choix pour nettoyer et harmoniser leur socle d’observation. Par exemple, les seuils établis pour éviter les biais et exclure les valeurs extrêmes des biens les plus chers et les moins chers diffèrent d’un producteur de statistiques à l’autre. Ensuite, les statistiques sont délivrées à des échelles temporelles souvent variables selon qu’elles se rapportent au mois, au trimestre ou au semestre. Leur échelle spatiale peut aussi différer, quoique la commune reste le principal niveau disponible. 

Au final, se faire une idée des prix immobiliers à un instant T, c’est composer avec de nombreux biais de construction. C’est aussi jongler avec des références difficiles à actualiser et à comparer. Et pour cause : les producteurs de statistiques se livrent à une bataille perpétuelle, à qui délivrera les meilleurs chiffres pour attirer à eux les parties prenantes des transactions immobilières, voire les lumières de l’information immobilière.

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(1) Le compromis de vente n’est pas soumis à enregistrement, contrairement à la promesse de vente qui fait l’objet d’un enregistrement à la recette des impôts.

(2) DVF sur https://www.data.gouv.fr/fr/datasets/demandes-de-valeurs-foncieres/ et https://app.dvf.etalab.gouv.fr/).

(3) Les prix immobiliers standardisés correspondent à un nouvel indicateur diffusé par le Notariat. Par rapport aux prix médians, ils sont calculés à partir d’une méthode économétrique proche de celle de l’indice Notaires-Insee et ont l’avantage d’être moins tributaires du type des biens vendus.

 

Article rédigé par Claire Juillard.

Claire Juillard est docteur en sociologie, spécialiste de la ville, du logement et des marchés immobiliers. Elle a co-fondé et co-dirigé pendant sept ans la Chaire Ville et Immobilier à l’Université Paris-Dauphine et partage à présent son activité indépendante entre recherche et conseil aux acteurs de l’immobilier. Elle a tiré le présent article de son dernier rapport : Juillard C. (2019), Le tournant numérique des données immobilières : permanences et recompositions, Paris, iread avec le LIFTI, le Puca et Urbanics.